5.2.6 Egalisation de lecture

5.2.6.1 L'égalisation est devenue possible avec l'introduction de l'enregistrement électrique ; elle est aussi devenue une nécessité. A l'enregistrement, l'égalisation consiste à accentuer ou à réduire la fréquence du signal, l'opération inverse de réduction ou d'accentuation est ensuite effectuée à la lecture. Contrairement au processus d'enregistrement acoustique, de telles procédures sont devenues possibles avec l'enregistrement électrique grâce aux circuits que comportent les systèmes d'enregistrement et de lecture. L'égalisation est devenue une nécessité car la manière dont le son est représenté sur le disque ne permet pas d'obtenir une échelle dynamique ou une réponse fréquentielle telle que le permet la technologie électrique, il doit être enregistré autrement.

5.2.6.2 Le son peut-être enregistré sur un disque de deux manières : "à vitesse constante" ou "à amplitude constante". Le premier cas s'applique lorsque la vitesse latérale de la  pointe reste constante quelle que soit la fréquence. Un disque acoustique enregistré dans des conditions idéales comporterait une vitesse constante sur toute la surface disponible. En conséquence, l'amplitude du signal serait inversement proportionnelle à la fréquence, ce qui signifie que les hautes fréquences seraient enregistrées avec de faibles amplitudes et les basses fréquences avec de grandes amplitudes. Les différences d'amplitude peuvent être très importantes. Ainsi, le rapport d'amplitude correspondant à des fréquences distantes de 8 octaves atteint 256:1. A basse fréquence, la vitesse constante, qui implique une excursion du sillon excessive, ne peut convenir car elle réduit l'espace d'enregistrement disponible d'une part et  peut provoquer des sauts inter-spires d'autre part.

5.2.6.3 On parle d'amplitude constante, d'autre part, lorsque l’amplitude reste la même quelle que soit la fréquence. Bien qu'elle soit la plus adaptée pour l'enregistrement des basses fréquences, l'amplitude constante ne peut convenir pour les fréquences élevées car la vitesse latérale du stylet à la gravure ou la lecture devient si importante qu'elle introduit des distorsions. Pour surmonter le dilemme provoqué par ces deux approches, les disques enregistrés électriquement sont gravés à amplitude plus ou moins constante aux fréquences basses et à vitesse constante aux fréquences élevées. La transition entre les deux régimes est définie par la fréquence dite de "turnover" (voir tableau 5.2).

5.2.6.4 Grâce à l'évolution des technologies d'enregistrement, des fréquences de plus en plus aiguës peuvent être gravées, mais leur amplitude, de plus en plus réduite, atteint le niveau des irrégularités de surface. De telles fréquences très élevées dont l'amplitude est comparable au bruit de surface, on dit qu'elles ont un rapport signal sur bruit médiocre. Pour surmonter cette difficulté, les fabricants de disques ont commencé à amplifier le signal des fréquences les plus élevées de telle manière qu'elles soient, parfois, enregistrées à amplitude constante. Les fréquences élevées sont enregistrées à vitesse constante jusqu'à un certain seuil au-delà duquel l'enregistrement est effectué à amplitude constante. La transition est appelée Roll-off Turnover HF (voir tableau 5.2). Cette égalisation des fréquences les plus élevées améliore le rapport signal sur bruit, elle est habituellement désignée par le terme de préaccentuation dans la phase d'enregistrement et par le terme de désaccentuation dans la phase de lecture.

5.2.6.5 Les phonolecteurs dynamiques ou magnétiques couramment utilisés sont des transducteurs de vitesse, le signal de sortie peut-être directement branché sur un préamplificateur standard si souhaité. Les systèmes de lecture piézo-électriques et optiques sont des transducteurs d'amplitude. Dans ce cas, une égalisation générale de pente de 6 dB par octave doit être appliquée, la différence entre les modes d'enregistrement à vitesse constante et à amplitude constante suivant cette loi.

5.2.6.6 Le processus d'enregistrement des disques acoustiques n'intègre pas, de manière délibérée, de préaccentuation (et l'on sait pourtant que les ingénieurs maîtrisaient les réglages des différentes phases d'enregistrement). Dans de telles conditions  d'enregistrement, le spectre du disque acoustique fait apparaître des pics de résonance de l'amplitude et des affaiblissements concomitants. Il n'est pas possible d'appliquer une égalisation de compensation standard du fait des résonances dues au pavillon, au diaphragme, et d'autres facteurs mécaniques, ces éléments pouvant varier d'un enregistrement à l'autre, y compris au cours d'une session. Dans ce cas, les enregistrements devront être lus à "plat", c'est-à-dire sans égalisation. Celle-ci devra être appliquée après opérations de transfert.

5.2.6.7 Pour transférer un disque enregistré électriquement, il est nécessaire de décider soit d'appliquer une courbe d'égalisation, soit de réaliser une copie plate. Lorsque la courbe de préaccentuation d'origine est connue avec précision, une égalisation correspondante peut-être appliquée avant transfert à l'aide d'un préamplificateur, ou bien après copie plate avec des moyens numériques. En cas de doute à propos de la courbe d'égalisation qu'il conviendrait d'adopter précisément, on réalisera une copie plate. Les versions numériques peuvent ensuite utiliser les courbes qui sembleraient les plus appropriées pour autant que le processus soit bien documenté, la version plate est conservée en tant que fichier master d'archive. Que l'égalisation soit appliquée ou non pendant le transfert initial, le bruit et la distorsion du signal analogique (depuis la pointe de lecture jusqu'au convertisseur analogique - numérique) doivent impérativement être maintenus au niveau le plus faible.

5.2.6.8 Il est intéressant de noter que la copie plate nécessitera une marge de la plage dynamique supérieure de 20 dB environ à celle correspondant à un transfert effectué avec égalisation. Toutefois, l'échelle dynamique d'un convertisseur numérique-analogique de 24 bits, supérieure même à celle de l'enregistrement original peut, par sa qualité, satisfaire à cette exigence de marge dynamique de 20 dB.  

5.2.6.9 Outre les limitations d'échelle dynamique mentionnées ci-dessus, le transfert d'enregistrements électriques sans désaccentuation présente un inconvénient : la sélection d'une pointe de lecture, essentiellement fondée sur une appréciation auditive sera plus difficile, pour ne pas dire impossible à conduire pendant l'écoute de séquences sonores. Une approche pratiquée par certains services d'archives consiste à appliquer une courbe standard, ou une famille de courbes correspondant à chaque type d'enregistrement pour sélectionner une pointe et effectuer d'autres réglages, puis de réaliser simultanément une copie plate et une copie avec égalisation numérique. Comme la courbe d'égalisation n'est pas toujours connue précisément, la copie plate 4 présente l'avantage d'offrir aux futurs utilisateurs la possibilité d'appliquer des égalisations à volonté, cette approche est préférable.

5.2.6.10  Des débats subsistent pour savoir si les outils de réduction du bruit qui éliminent clics audibles, sifflements etc. sont plus efficaces lorsqu'ils sont utilisés avant ou après application d'une courbe d'égalisation. La réponse variera probablement en fonction du choix spécifique des outils, de la nature des travaux à accomplir, et des événements susceptibles de changer, comme l'évolution continuelle des outils. A cet égard, le point le plus important concerne l'équipement de réduction du bruit, qui, bien que entièrement automatisé et sans possibilité de paramétrage de la part des utilisateurs, utilisera en fin de compte des processus subjectifs et irréversibles, et ainsi ne devra pas être utilisé lors de la création de fichiers de masters d'archives.  

5.2.6.11  Le relevé complet de toutes les décisions prises, du choix des équipements, de la cellule et pointe, du bras et de la courbe d'égalisation utilisée (ou bien absence d'égalisation) doit être enregistré et conservé dans les métadonnées.

5.2.6.12 Présentation des principales courbes d'égalisation en mode lecture.

Courbe d'égalisation disques 78t électriques sillon large Turnover BF 5 Roll-off Turnover HF (-6 dB/octave sauf indication) Roll-off @ 10 kHz
Acoustics 0   0 dB
Brunswick 500 Hz (NAB)   0 dB
Capitol (1942) 400 Hz (AES) 2500 Hz -12 dB
Columbia (1925) 200 Hz (250) †5500 Hz (5200) -7 dB (-8,5)
Columbia (1938) 300 Hz (250) 1590 Hz -16 dB
Columbia (Eng.) 250 Hz   0 dB
Decca (1934) 400 Hz (AES) 2500 Hz -12 dB
Decca FFRR (1949) 250 Hz 3000 Hz* -5 dB
early 78t (mi années 30) 500 Hz (NAB)   0 dB
EMI (1931) 250 Hz   0 dB
HMV (1931) 250 Hz   0 dB
London FFRR (1949) 250 Hz 3000 Hz* -5 dB
Mercury 400 Hz (AES) 2500 Hz -12 dB
MGM 500 Hz (RIAA) 2500 Hz -12 dB
Parlophone 500 Hz (NAB)   0 dB
Victor (1925) 200–500 Hz †5500 Hz (5200) -7 dB (-8,5)
Victor (1938–47) 500 Hz (NAB) †5500 Hz (5200) -7 dB (-8,5)
Victor (1947–52) 500 Hz (NAB) 2120 Hz -12 dB

Tableau 1 Section 5.2 Courbes d'égalisation des disques à sillon large (78t) 6

* Pente de 3 dB/octave. Une pente de 6 dB/octave ne devrait pas être utilisée à ces fréquences, si elle peut fournir une lecture satisfaisante à 10 kHz, l'atténuation roll-off qui débuterait à une fréquence incorrecte (6800 Hz) resterait incorrecte pour toutes les autres fréquences.
† Simple recommandation d'une valeur roll-off permettant d'obtenir un son plus naturel. Le niveau HF amplifié est probablement dû aux pics de résonance du microphone et non aux caractéristiques d'enregistrement.


4. "Plat" désigne généralement le signal non égalisé en sortie d'une cellule à vitesse constante.

5. Pour les définitions de "Turnover" et "Roll-off", voir Tableau 2, Paragraphe 5.3, note en bas de page.

6. Réf : Heinz O. Graumann : Schallplatten-Schneidkennlinien und ihre Entzerruhg, (Caractéristiques d'enregistrement et égalisation des disques Gramophone) Funkschau 1958/Heft 15/705-707. Le tableau ne comporte pas toutes les courbes pour chaque utilisation. D'autres courbes de référence varient légèrement de certaines décrites ici. Les recherches sur ces questions se poursuivent et s'il le souhaite, le lecteur peut les comparer avec d'autres résultats, tels ceux présentés par Powell & Stehle ou Copeland, chapitre 6, etc.