5.2 Reproduction des formats mécaniques historiques et obsolètes

5.2.1 Introduction

5.2.1.1 Les premiers enregistrements audio ont été réalisés à l'aide de moyens mécaniques. Cette approche restera pratiquement la seule méthode viable de capture du son jusqu'au développement des circuits électriques qui ont permis la création d'un nouveau marché avec l'enregistrement magnétique pendant les années 30 et au-delà. L'enregistrement mécanique est caractérisé par la présence d'un sillon continu porteur d'un signal codé pratiqué à la surface d'un support. L'encodage du son monophonique est obtenu soit par la modulation du fond du sillon qui se déplace vers le haut et vers le bas relativement à la surface du disque (enregistrement vertical), ou bien qui se déplace alternativement de gauche à droite (enregistrement latéral). Tous les enregistrements sur cylindre sont verticaux, de même les disques Edison Diamond Disc et certaines productions en laque réalisées par Pathé jusqu'à ce qu'on réalise des disques à gravure latérale à partir de 1927 environ. Pendant un certain temps, des disques de transcription radiophonique ont été gravés verticalement, aux Etats-Unis essentiellement. Les enregistrements à gravure latérale sont les plus répandus ; la plupart des disques à sillon large (parfois dénommés 78t), de transcription radio, et de gravure directe, comportent un sillon latéral, de même les microsillons monophoniques. Ceux-ci seront traités à part dans la section 5.3.

5.2.1.2 Les enregistrements mécaniques sont de type analogique, ainsi nommés car les flancs du sillon sont modulés par le son en une forme d'onde continue. Pratiquement tous les enregistrements mécaniques présentés sont obsolètes dès lors que les industries ayant créé ces produits cessent de les fabriquer. Les premiers enregistrements étaient acoustiques : les ondes sonores, par l'intermédiaire d'un léger diaphragme et d'un burin solidaire à celui-ci sont inscrites directement sur la surface d'enregistrement. Par la suite, les enregistrements mécaniques sont devenus "électriques", utilisant un microphone et un amplificateur pour piloter une tête de gravure. A partir de 1925, pratiquement tous les studios d'enregistrement ont commencé à réaliser des enregistrements électriques.

5.2.1.3  Les premiers enregistrements mécaniques, produits par une industrie en cours de développement, ont peu bénéficié de mesures de normalisation. Les accords existants n'étaient guère respectés dans le contexte du développement de la technologie, du secret dans lequel les fabricants entouraient leurs dernières techniques pour garder l'avantage sur le marché. De cette période, nous héritons d'une disparité considérable de la plupart des caractéristiques de ces produits, pas moins que celles de la taille et de la forme du sillon gravé (voir 5.2.4), de la vitesse d'enregistrement (5.2.5) et de l'égalisation requise (5.2.6). En conséquence, les personnes opérant sur de tels disques doivent acquérir des connaissances spécifiques des conditions historiques et techniques dans lesquelles les enregistrements ont été réalisés. Pour des productions atypiques, il est recommandé de demander conseil auprès de spécialistes, mais aussi de prendre des précautions pour tous les types disques, y compris les plus courants.

5.2.2 Sélection de la meilleure copie

5.2.2.1 L'enregistrement mécanique peut être un enregistrement direct ou bien une reproduction. Dans le premier cas, il s'agit presque toujours d'un document unique, seul enregistrement d'un événement particulier. Cette catégorie comprend les cylindres de cire 2, les disques à gravure directe (connus aussi sous le nom d'acétate), et les enregistrements réalisés par des machines à dicter de bureau (voir 5.2.9). Dans le second cas, les enregistrements dupliqués sont généralement reproduits en exemplaires multiples par pressage ou moulage d'un master original. Les enregistrements directs devront être identifiés et traités à part, avec grande précaution.

5.2.2.2 Les cylindres à gravure directe peuvent être identifiés par leur apparence de cire, leur toucher, ils sont généralement fabriqués à partir de savon métallique doux. Leur couleur typique peut varier du caramel clair au chocolat foncé ou très rarement noir. Les cylindres dupliqués sont réalisés à partir d'une qualité de savon métallique plus dur, ou bien encore d'un manchon de celluloïd recouvrant un noyau de plâtre. Ils ont été fabriqués avec une grande variété de couleurs, sachant que le noir et le bleu ont été les plus fréquemment utilisés. Ces cylindres portent habituellement des informations du programme par un marquage en relief pratiqué sur le bord du cylindre.

5.2.2.3 Le premier format de disques à lecture immédiate est apparu en 1929 environ. Les disques étaient constitués d'un métal tendre dépourvu de revêtement (aluminium le plus souvent, cuivre ou zinc dans certains cas). A la surface de celui-ci, un sillon à débattement latéral est pratiqué par repoussage plutôt que par gravure. Ces disques peuvent être facilement distingués des disques dupliqués en gomme-laque. Comme pour les disques acétate produits ultérieurement, les disques métalliques ont été conçus pour permettre, après fixation de l'enregistrement par repoussage, une lecture immédiate à l'aide d'un gramophone standard de l'époque, aussi de tels enregistrements peuvent-ils globalement être rangés dans la catégorie des disques à sillon large et des 78t/mn. Toutefois,  les ingénieurs chargés du transfert devront s'attendre à des différences, pas seulement dans les profils du sillon.

5.2.2.4 Les disques acétate introduits en 1934 sont le plus souvent décrits comme produits laminés, bien que ce ne soit pas leur méthode de fabrication, ou bien comme des produits en acétate, ce qui en fait ne décrit pas la nature de la surface d'enregistrement. Ces disques sont le plus souvent constitués d'une base (âme) solide et rigide (aluminium ou verre, zinc parfois) recouverte d'une laque de nitrate de cellulose, teintée en noir afin d'améliorer les conditions d'observation durant le  processus de gravure. Rares sont les disques à base de carton. Le comportement de coupe lors de la gravure est contrôlé par l'addition de plastifiants (agents assouplissants), tels que l'huile de castor ou le camphre.

5.2.2.5 Les disques à gravure directe peuvent ressembler aux disques de laque et plus généralement aux vinyles, mais ils peuvent en être distingués de plusieurs manières. Il est souvent possible d'observer le matériau de base (âme) entre les couches de vernis, soit dans la tranche du trou central, soit sur celle du pourtour extérieur. Lorsqu'une étiquette de papier est présente, l'inscription du programme est effectuée de manière manuelle plutôt que imprimée. Sur les disques dépourvus d'étiquette, on observera parfois la présence, près du trou central, d'un ou de plusieurs trous décentrés servant à l'entraînement du disque. Si la laque nitrocellulosique, une âme métallique ou de verre entrent dans la composition de la plupart des disques à gravure directe, on peut rencontrer en pratique une grande variété de matériaux différents, tels que le carton pour support, la gélatine pour la couche d'enregistrement, ou bien encore des disques homogènes.  

5.2.2.6 En raison de leur instabilité, les disques à gravure directe devront être transférés en toute première priorité.

5.2.2.7 Lorsque l'on dispose de plusieurs copies de disques à gravure directe, la sélection de la meilleure version suit habituellement un processus visant à déterminer l'existence de l'exemplaire le plus proche de la source en meilleur état. Dans le cas de production d'enregistrements mécaniques de masse pour laquelle l'existence de copies multiples est habituelle, on appliquera les recommandations ci-dessous pour la sélection de la meilleure copie.

5.2.2.8 La sélection de la meilleure copie des supports mécaniques dupliqués implique une bonne connaissance de la production discographique et de la capacité d'apprécier l'état d'usure et les dégradations du disque pouvant générer des effets audibles sur le signal. Pour identifier précisément l'enregistrement, le fabricant utilise des numéros et des codes, généralement placés entre le sillon de sortie du programme et l'étiquette. De telles indications peuvent aider le technicien qui pourra ainsi déterminer s'il s'agit de disques identiques ou bien de disques correspondant à différentes prises de la même œuvre. Les signes d'usure ou de dégradation du disque seront davantage visibles en lumière réfléchie. Pour obtenir de meilleurs résultats, le technicien recherchera les défauts sous le faisceau d'une lampe à incandescence placée derrière son l'épaule. Les tubes fluorescents ou bien les lampes basse consommation, qui ne produisent pas de lumière suffisamment cohérente pour révéler les défauts d'usure, ne seront pas utilisés. Un microscope stéréoscopique est utile pour évaluer la taille et la forme du sillon, pour examiner l'état d'usure produit par les lectures antérieures. Ces observations facilitent la sélection de la pointe la plus adaptée. L'utilisation d'un microscope stéréoscopique comportant un réticule permet une sélection plus précise et plus objective de la pointe de lecture (Casey et Gordon 2007).


2. Les premiers cylindres de cire commerciaux étaient dupliqués par des procédés mécaniques, les uns après les autres, les interprètes effectuaient souvent plusieurs prises pour réaliser des lots d'enregistrements similaires. Ils seront tous considérés comme exemplaires uniques.

5.2.3 Nettoyage et restauration des supports

5.2.3.1 Les supports gravés peuvent se dégrader par leur utilisation ou par les effets du processus de décomposition naturelle des constituants, phénomène plus ou moins rapide selon les conditions de stockage. Des débris de poussière et dépôts de particules peuvent s'agglutiner dans le sillon et favoriser le développement de moisissures quand les conditions climatiques le permettent. Cette situation est très courante pour les cylindres à gravure directe. De plus, les disques acétate peuvent faire apparaître des traces d'exsudation d'agents plastifiants entrant dans la composition de la couche enduite. Ces traces se présentent sous forme de moisissure blanche ou grise, mais dont la consistance est grasse au toucher. La moisissure, à proprement parler, se présente sous l'apparence d'un duvet ou d'un filament blanc ou gris. Ces 2 phénomènes compromettent les conditions dans lesquelles la tête de lecture peut suivre le sillon avec précision, aussi un nettoyage approprié du support est-il nécessaire.
 
5.2.3.2 La méthode la plus adaptée pour procéder au nettoyage dépendra de la nature et de l'état du substrat. Dans de nombreux cas, les interventions effectuées à l'aide d'un liquide produisent les meilleurs résultats, mais le choix du solvant doit être fait avec précaution ; dans certains cas, il vaut mieux éviter toute utilisation de liquide. Lorsqu'on ne connaît pas de leur composition chimique, on évitera d'utiliser les solutions de nettoyage. Toute décision d'utilisation de solvants ou autres produits de nettoyage devra être prise par le responsable des archives disposant des conseils techniques avisés de restaurateurs ou de chimistes compétents dans les matériaux plastiques. On considérera néanmoins que les disques à gravure directe, les disques de laque, les cylindres de tout type ne devront jamais être en contact avec l'alcool qui présente des risques d'effets corrosifs immédiats. Souvent, les disques de laque contiennent des charges absorbantes qui peuvent se dilater en cas de contact prolongé avec l'humidité. Ils devront être séchés immédiatement après un nettoyage effectué avec un liquide quelconque. Tous les procédés de nettoyage devront éviter le moindre contact avec l'étiquette de papier.

5.2.3.3 L'huile de Castor est fréquemment utilisée comme agent plastifiant dans la production de disques comportant une couche de laque nitrocellulosique. Celle-ci se décompose généralement en acide palmitique et acide stéarique lorsqu'un phénomène d'exsudation en surface se produit. La perte de plastifiant provoque une contraction du revêtement qui se craquèle et se détache du support (pelage). Un phénomène connu sous le nom de délamination. Plusieurs solutions ont été pratiquées avec succès par l'élimination des acides exsudés formés (voir en particulier Paton et al 1977 : Casey et Gordon 2007, p 27). Il a été toutefois observé que, suite au nettoyage, les disques à gravure directe pouvait se dégrader plus rapidement. Il est donc prudent de réaliser sans attendre des copies numériques de disques propres après avoir effectué les opérations de nettoyage. Il faut souligner que l'effet de tous les solvants doit être testé avant usage. Certains disques à gravure directe comportent une couche active de gélatine par exemple, non de nitrate de cellulose. La gélatine, soluble, subirait des dommages immédiats et irréversibles si un traitement avec liquide était appliqué.

5.2.3.4  D'autres média ne se prêtent pas à un nettoyage à l'aide d'un liquide, notamment les disques à gravure directe et les disques en laque qui comportent une feuille de papier ou du carton sous la couche de gravure. De la même façon, les disques à gravure directe dont la couche de surface se fragmente ou se délamine doivent être traités avec le plus grand soin. Les cylindres à gravure directe doivent être nettoyés à sec exclusivement à l'aide d'une brosse souple appliquée le  long du sillon. Toutefois, si la présence de spores de moisissures est suspectée, on prendra le plus grand soin pour réduire la contamination. Des précautions toutes particulières seront prises dans les procédures de nettoyage des moisissures et des spores afin d'éviter des sérieux problèmes de santé. Il est fortement recommandé aux opérateurs de s'enquérir de conseils de professionnels avant de commencer les travaux sur de tels produits contaminés.

5.2.3.5 Lorsqu'on estime que l'utilisation d'agents de nettoyage liquides est appropriée, on prendra les mesures pour que la solution d'une part et le support d'autre part  soient bien à la température de la pièce. On évitera ainsi tout choc thermique préjudiciable au support.

5.2.3.6 Souvent, la méthode qui se montre être la plus efficace et la plus décisive consiste à utiliser une machine de nettoyage dotée d'un système d'aspiration pour éliminer le liquide résiduel dans le sillon, ainsi les machines Keith Monks Loricraft ou bien Nitty Gritty.

5.2.3.7 Les supports particulièrement sales, ou ceux marqués de manière permanente par des dépôts de papier après séchage, peuvent être nettoyés au moyen d'un bain à ultrasons dans lequel le disque (ou un partie du disque) est plongé. La vibration du liquide en contact avec l'objet provoque le détachement des particules de salissure.

5.2.3.8 Au cas où il n'est pas possible d'utiliser un tel équipement, le lavage manuel peut-être effectué au moyen d'une petite brosse rigide. Il est possible d'utiliser l'eau du robinet, mais il conviendra d'effectuer systématiquement un rinçage à l'eau déminéralisée afin d'éliminer tous les restes de contamination.

5.2.3.9  Outre les opérations de nettoyage, d'autres opérations de restauration peuvent être nécessaires. Les disques de laque et les cylindres de tous types sont fragiles et donc exposés à des cassures en cas de mauvaise manipulation. Les disques de gomme laque peuvent se ramollir et se déformer à haute température. La migration des produits plastifiants des disques à gravure directe est à l'origine de la contraction du revêtement alors que le support de métal ou de verre est très stable. Les contraintes générées entre les matériaux provoquent des fragmentations et des détachements de la couche de lecture. La restauration idéale de disques et de cylindres cassés est réalisée sans colle ni adhésifs, qui forment inévitablement un obstacle entre les parties jointes et qui seront audibles, aussi petits soient-ils. De telles procédures sont généralement irréversibles, n'accordant pas de seconde chance. Les procédures de duplication des disques de laque et des cylindres génèrent souvent des contraintes au sein du support. En cas de cassure, les contraintes propres aux différentes parties peuvent produire de légères déformations. Pour minimiser cet effet, les morceaux devront être remis en place et les opérations de transfert effectuées dès que possible après l'incident. Chaque élément d'un support cassé devra être conditionné pour le stockage en évitant tout contact avec les doigts. Le stockage de l'objet cassé simplement reconstitué peut favoriser l'effritement du bord des pièces en contact les unes avec les autres et augmenter les dégradations.       

5.2.3.10 La reconstruction des disques de laque sur une platine est généralement la meilleure solution. On utilise un plateau plus grand que le disque (un disque disponible hors collection peut constituer une solution idéale). Les pièces sont placées dans leur position correcte et maintenues autour de l'axe central à l'aide d'un mastic réutilisable tel que les produits Blu-Tack, U-Tack ou analogues fixés sur le pourtour du disque. Quand les disques sont plus fins dans la zone externe par rapport à la zone centrale, le mastic peut-être utilisé pour relever les bords et les placer à bonne hauteur. Il convient de prendre note de la direction de déplacement de la pointe dans le sillon : lorsque la hauteur des différentes pièces ne peut être parfaitement alignée, il vaut mieux, tant pour la pointe que pour la qualité du résultat du transfert, faire en sorte que la pointe saute vers le bas plutôt que de butter contre l'obstacle représenté par la paroi d'un fragment plus haut.

5.2.3.11  Les cylindres qui ont subi une cassure nette peuvent souvent être restaurés directement sur le mandrin de lecture en utilisant du collant 1/4 pouce (utilisé pour les bandes magnétiques) en forme de pansement. Il conviendra de faire appel à l'aide de spécialistes en cas de cassures plus complexes.

5.2.3.12 Les lamelles détachées de la couche de vernis des disques à gravure directe peuvent être provisoirement remises en place pour permettre une lecture. On utilise pour cela une toute petite quantité de gelée à base de pétrole placée entre la lamelle et le support. Les effets de cette intervention sont susceptibles d'être nocifs à long terme, aussi ces tentatives seront-elles réservées aux disques que l'on estime ne pas pouvoir lire dans d'autres conditions.  

5.2.3.13 Quand il est possible de lire un disque voilé ou tordu, sans avoir à l'aplanir, cette situation peut constituer une situation préférable au vu des risques présentés ci-dessous par la lecture d'un disque aplani. La possibilité de lire un disque déformé peut être améliorée en réduisant la vitesse de rotation du disque. (Voir 5.2.5.4).

5.2.3.14 Les disques en gomme laque peuvent être redressés dans une étuve ventilée de laboratoire (non chez un particulier). Le disque devra être posé sur une plaque de verre trempé préchauffée. Le disque et la plaque de verre doivent impérativement être nettoyés pour prévenir la fusion de la salissure à la surface du disque. Un autre risque peut se présenter par des déformations latérales du disque lorsqu'il durcit en position verticale. Il convient donc de ne pas chauffer le disque plus que nécessaire, pas plus de 42°C, température généralement suffisante (voir Copland 2008, Appendice I).

5.2.3.15 L'opération de redressage de la planéité d'un disque est très utile en ce qu'elle rend possible une lecture qui ne le serait pas autrement. Toutefois, les recherches en cours sur les procédures de remise à plat d'un disque avec la chaleur montrent qu'elles peuvent produire des fréquences subsoniques audibles, même aux très basses fréquences du spectre audible (Enke 2007). Bien que les recherches ne soient pas très convaincantes, il convient d'établir s'il y a lieu de procéder aux opérations de redressement d'un disque. Des conséquences néfastes de ces pratiques ont été analysées pour des disques vinyles et si on décidait d'étendre de telles méthodes aux disques de laque, il faudrait abaisser la température pour diminuer les risques. En tout état de cause, il faudra bien mettre en balance le risque de tels dommages avec la possibilité de lire le disque.     

5.2.3.16  S'il est fortement recommandé de ne pas essayer de redresser de façon permanente les disques à gravure directe (toute tentative étant susceptible d'être vouée à l'échec si ce n'est d'entraîner une dégradation de la surface), dans certains cas, le voile peut être réduit momentanément par serrage du disque ou autre procédé de maintien des bords de celui-ci sur la platine. Un très grand soin doit être apporté, particulièrement avec les disques à couche de vernis qui peuvent être endommagés lorsqu'ils sont soumis à des contraintes. Les disques souples, voilés, peuvent être redressés en les plaçant sur le plateau à aspiration d'une machine à graver, grâce au vide que l'on amène progressivement avec précautions. Tous les traitements physiques devront être entrepris avec beaucoup de soins pour éviter tout dommage.

5.2.3.17 Certains disques dupliqués ont été réalisés avec un trou non parfaitement concentrique. Il est préférable de lire un tel disque sur une platine dont l'axe peut être retiré ou bien en surélevant le disque au-dessus de l'axe en utilisant, par exemple, des disques de rebut ou bien des intercalaires en caoutchouc. Dans ce cas, la hauteur du bras devra être surélevée d'autant. Il est possible de recentrer le trou axial en utilisant un alésoir ou un foret, mais une telle intervention invasive ne peut-être entreprise qu'avec précaution et en aucun cas sur des exemplaires uniques. Altérer l'objet original peut faire perdre l'information secondaire.

5.2.4 Equipement de lecture

5.2.4.1 Les disques gravés sont conçus pour être lus à l'aide d'une pointe et d'une platine. Si les technologies à lecture optique présentent quelques avantages spécifiques qui seront discutés ci-dessous (voir section 5.2.4.14), si leur évolution est telle que la lecture s'effectue à la manière d'un système ne nécessitant pas de contact physique, la meilleure approche et la plus économique actuellement, consiste à extraire le contenu audio à  l'aide d'une pointe convenable. En ce qui concerne les enregistrements à gravure latérale, il est essentiel de disposer d'une panoplie de pointes de différents rayons, de 38 µm (1,5 mil 3) à 102 µm (4mil), avec une attention complémentaire pour les dimensions 76 µm (3 mil) et 65 µm (2,6 mil) correspondant respectivement aux premiers et aux derniers disques électriques. La pointe qui assurera la meilleure lecture possible d'un sillon donné s'ajustera correctement dans celui-ci dans la zone de lecture, évitant les zones usées ou endommagées des parois. Les disques en bon état se prêtent à une reproduction plus précise, moins chargée de bruit de fond lorsqu'ils sont lus avec une pointe de forme elliptique. Les disques en mauvais état apparent peuvent produire de meilleurs résultats avec une pointe de forme conique. La zone usée par des lectures antérieures peut ne concerner qu'une région particulière des flancs du sillon. Choisir une pointe de taille et de forme appropriées permet de lire la région saine des parois sans introduire de distorsions provenant de la région dégradée. Une pointe  de forme tronquée ou autre évitera plus aisément d'atteindre les zones endommagées se trouvant dans le fond du sillon. Des précautions devront être prises pour lire les disques Pathé à gravure latérale car ils ont, de manière typique, une largeur de sillon plus importante ; ils peuvent nécessiter une pointe dont le rayon de courbure est plus grand, ce qui évite de détériorer le fond du sillon.

5.2.4.2 Les platines mono sont disponibles, mais il est plus courant d'utiliser une platine stéréo qui permet de capturer séparément les informations de chaque flanc du sillon. Les cellules à bobine mobile sont souvent très appréciées car leur bonne réponse aux impulsions favorise la séparation du bruit de matière du signal audio. Toutefois, la variété des tailles des pointes correspondant aux cellules à bobine mobile n'est pas aussi étendue que celles des cellules à aimant mobile qui font partie intégrante de la platine, et celles qui doivent être commandées coûtent approximativement quatre fois plus cher. Les platines à aimant mobile sont plus courante, plus robustes, moins coûteuses ; elles sont généralement mieux adaptées au service demandé. Souvent, pour lire des disques de laque, une force d'appui de l'ordre de 30 - 50 mN (3 - 5 g) convient. Une force d'appui inférieure à ces valeurs est recommandée pour les disques à gravure directe. L'utilisation d'une platine stéréo présente l'avantage de pouvoir mémoriser séparément les composantes de chaque voie, ce qui permet, lors d'utilisation ultérieure, de les sélectionner ou de les traiter. A l'écoute, les deux canaux peuvent être combinés en phase pour les enregistrements à gravure latérale, ou hors phase (selon la platine) pour les enregistrements à gravure verticale.

5.2.4.3  Pour les enregistrements à gravure verticale, la sélection d'une pointe adaptée répond à des critères différents de ceux correspondant à un disque à gravure latérale. Plutôt que de choisir une pointe ajustée dans un espace séparant les deux parois du sillon, la lecture des cylindres et autres disques à gravure verticale exige le choix d'une pointe qui s'adaptera au mieux au fond du sillon. Ceci est critique pour les cylindres à gravure directe car, même avec une force d'appui très faible, un mauvais choix de forme de pointe est à l'origine d'une dégradation de la surface. Généralement, on préférera une pointe sphérique, surtout si la surface est endommagée, même si une pointe elliptique permet d'éviter les fréquences générées par l'erreur de piste. Typiquement, pour les cylindres standards (100 sillons/pouce), les tailles de pointes sont comprises entre 230 µm (9 mil) et 300 µm (11,8 mil) et pour les cylindres de 200 sillons/pouce, la taille est comprise entre 115 (4,5 mil) et 150 µm (5,9 mil). Les cylindres doivent être lus avec une pointe dont le rayon de courbure de l'extrémité est légèrement inférieur à celui du fond du sillon. Une pointe tronquée va endommager le sillon car la force d'appui s'exerce davantage sur les bords de celui-ci plutôt que la pointe elle-même, ce qui induit une augmentation de la pression sur ces parties du sillon.

5.2.4.4 Quand vient le moment de prendre des décisions d'équipement, la connaissance du contenu d'une collection donnée servira de guide principal pour définir le type de matériel nécessaire. Différents types de supports demanderont évidemment différents types d'équipements de lecture, mais même pour des supports semblables des besoins d'expertise spécifiques peuvent apparaître. ,  

5.2.4.5 En général, les appareils  historiques ne peuvent être utilisés, essentiellement du fait de leur qualité audio limitée, et, dans le cas des lecteurs de cylindres, du fait d'une force d'appui trop importante en comparaison de celle d'un lecteur moderne. Certains cylindres problématiques ne peuvent être lus avec un lecteur moderne doté d'un asservissement du déplacement de la tête de lecture par la pointe qui suit le sillon. Un tel dispositif s'avère pratiquement incapable d'assurer le suivi de piste de la pointe, de faire en sorte qu'elle racle régulièrement le sillon. Le problème peut-être résolu en utilisant un lecteur moderne à avance fixe ou bien un lecteur historique modifié.

5.2.4.6 Les disques de transcription radio ont un diamètre de 16 pouces. Si de tels supports sont présents dans une collection, il faudra se procurer une platine comportant un plateau tournant et un bras pour des disques de cette taille. Pour les disques standards de 12 pouces, une platine moderne de précision modifiée pour faire varier la vitesse sera nécessaire.

5.2.4.7 Les matrices négatives (ou stampers) servant à la production en masse de disques dupliqués peuvent être jouées si un stylet à double pointe est disponible. Ce type de pointe à double corps se place à califourchon sur la crête du sillon-relief (négatif du sillon gravé) ; il doit être posé soigneusement afin qu'il ne tombe pas entre les crêtes adjacentes. Comme la matrice comporte une spirale inversée par rapport au disque qu'elle va presser, elle devra tourner dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, à l'opposé de celui du disque pressé afin de lire le programme du début à la fin. Pour mener correctement cette opération, il faut disposer d'un bras coudé et monté à l'envers. Une solution beaucoup plus simple et tout aussi efficace consiste à lire la matrice dans le sens horaire, depuis la fin jusqu'au début du programme, puis d'inverser l'enregistrement numérisé en utilisant un logiciel d'éditing de haute qualité.

5.2.4.8 Il est extrêmement difficile de se procurer des stylets bi-pointes. Deux catégories sont produites, à savoir : les pointes de faible compliance et les pointes de haute compliance. Le premier type est conçu pour remédier aux défauts de fabrication des matrices métalliques, il n'est pas idéal pour réaliser les transferts d'archivage.  La deuxième catégorie, dont la force d'appui est significativement plus faible, est conçue pour l'extraction des signaux audio plutôt qu'à des modifications physiques du stamper. Son utilisation sera plus appropriée à cette fin.

5.2.4.9 Les platines tourne-disques et les phonographes à cylindre utilisés pour les transferts d'archives doivent être des mécaniques de précision afin de produire une transmission minimale de vibrations parasites à la surface du disque qui se comporte comme un diaphragme récepteur du pickup. Les vibrations basses fréquences, appelées rumble, ont souvent une composante verticale considérable. Pour réduire le rumble généré par des vibrations extérieures, le bâtiment dans lequel l'appareil est placé doit bénéficier de fondations stables, ne transmettant pas les vibrations de structure. La machine de lecture doit avoir une précision de vitesse de rotation d'au moins 0,1 pour cent ; le pleurage et scintillement (pondération DIN 45 507) sera inférieur à 0,01 pour cent, la valeur de rumble non pondéré restera inférieure à 50 dB. L'entraînement du plateau sera effectué par courroie ou bien par un système d'entraînement direct ; les dispositifs à friction ne sont pas recommandés car ils ne permettent pas d'atteindre une précision de vitesse suffisante et un niveau de rumble suffisamment faible.

5.2.4.10 Les câblages électriques d'alimentation secteur, le moteur électrique doivent être isolés pour prévenir l'injection de bruit électrique dans le circuit du phonocapteur. Si nécessaire, des plaques en mu-métal seront utilisées pour blinder le moteur des circuits du capteur. Les câbles de connexion au préamplificateur devront respecter les spécifications d'impédance de charge de la cellule. L'installation devra suivre les pratiques des circuits analogiques dans toutes leurs exigences, les procédures de mise à la terre observées afin qu'aucun bruit ne soit ajouté au signal audio. Toutes les suggestions énumérées ci-dessus et les spécifications devront être évaluées quantitativement en analysant le signal de sortie de disques tests (voir 5.2.8).

5.2.4.11 Les platines tourne-disques et les phonographes à cylindre devront être dotés d'un variateur de vitesse. La possibilité de disposer d'une position demi-vitesse est particulièrement souhaitable (voir 5.2.5.4). Les dispositifs de lecture disposeront, si possible, d'un indicateur de vitesse avec sortie du signal permettant l'inscription automatique de ces métadonnées. Le bras de la platine tourne-disque doit être fixé sur une embase permettant non seulement l'ajustement de la distance de celui-ci par rapport au centre de la platine, mais aussi sa hauteur.  

5.2.4.12 Afin d'être en mesure d'évaluer les équipements et les réglages qui se montreraient les plus appropriés, des comparaisons seront menées entre les différentes options. On procédera à la comparaison simultanée ou en mode A/B des différents fichiers audio préparés à l'aide d'un logiciel d'éditing choisi à cet effet. L'édition et la préparation pour l'écoute de séquences d'enregistrements obtenues avec différents paramétrages permettent des comparaisons répétées en réduisant la subjectivité du processus au minimum.   

5.2.4.13 Une décision devra être prise quant à l'application de la courbe d'égalisation avant la phase de numérisation (voir 5.2.6 Egalisation de lecture). Si nécessaire, on utilisera un préamplificateur permettant d'ajuster n'importe quel type de courbes.

5.2.4.14 Une solution alternative à la lecture par contactd'un phonocapteur consiste à scanner ou photographier à haute résolution toute la surface d’un disque ou d’un cylindre, puis à effectuer une conversion en son. Divers projets ont été développés jusqu'à une phase (quasi-) commerciale (Platine laser ELP ; IRENE de Carl Haber, Vitaliy Fadeyev  et al ; VisualAudio de Ottar Johnsen, Stefano S. Cavaglieri et al ; Sound Archive Project, P.J. Boltryk, J.W.McBride, M. Hill, A.J. Nascè, et C. Maul). Toutefois, toutes les techniques explorées jusqu'ici  rencontrent des limites (résolution optique, traitement d'image, etc.) qui, en conséquence, génèrent une qualité sonore médiocre quand on la compare avec celle obtenue avec des moyens mécaniques habituels. Typiquement, l’extraction de l’information par lecture optique est un procédé intéressant pour  les disques en très mauvais état, pour lesquels les procédés mécaniques de lecture se montrent inopérants, pour lesquels les supports se montrent si fragiles que les procédés de lecture traditionnels provoqueraient des dégradations inacceptables.


3. 1 mil = 0,001" (1/1000 de pouce)

5.2.5 Vitesse

5.2.5.1 Malgré la désignation des disques de laque à sillon large par le vocable "78t", dans bien des cas de tels disques ne sont pas enregistrés rigoureusement à la vitesse 78 t/mn, tout particulièrement ceux qui ont été enregistrés avant le milieu des années 1920. A différentes époques, certaines sociétés d'enregistrement fixaient des vitesses officielles variables, des vitesses qui pouvaient même varier selon l'ingénieur du son et les circonstances pendant la session d'enregistrement. Nous manquons de place ici pour discuter des différentes options, sujet traité par ailleurs de manière détaillée (voir par exemple Copeland 2008, Chapitre 5).

5.2.5.2 Lors des transferts, il est impératif de lire le disque à une vitesse aussi proche que possible de celle de l'enregistrement afin d'extraire les événements sonores d'origine d'une manière aussi fidèle et objective que possible. Toutefois, des décisions subjectives doivent être souvent prises. A cette fin, la connaissance du contenu enregistré ou du contexte de l'enregistrement peut-être utile. La vitesse de lecture choisie devra être documentée dans les métadonnées d'accompagnement. Ceci est particulièrement important lorsqu'un doute subsiste quant à la vitesse réelle d'enregistrement.

5.2.5.3 La vitesse d'enregistrement des cylindres moulés commercialisés s’est normalisée à 160 t/mn vers 1902, même si avant cela Edison (au moins) avait appliqué des standards de vitesse qui n’ont pas perduré (tous inférieurs à 160 t/mm ; voir Copeland 2008, Chapitre 5). Même si de nombreux cylindres à gravure directe ont été enregistrés à 160 t/mn environ, on trouve des exemplaires enregistrés à des vitesses comprises entre 50 et 300 t/mn. En l'absence d'un diapason enregistré sur le cylindre (comme cela a été réalisé par certains preneurs de son de la première époque), il conviendra de régler la vitesse de lecture à l'oreille et de l'indiquer dans la documentation d'accompagnement.

5.2.5.4 Lire un disque ou un cylindre à vitesse réduite peut améliorer la précision de lecture lorsque le support est en mauvais état. Différentes manières de faire peuvent être tentées en fonction du matériel utilisé, mais on veillera tout particulièrement aux conséquences de cette procédure sur le taux d'échantillonnage du fichier numérique lors de la compensation de la vitesse, aussi le taux d'échantillonnage devra-t-il être choisi dans ce but. La lecture à mi-vitesse peut-être la plus simple solution, lorsqu'elle est associée à un taux d'échantillonnage double pour produire des transferts à vitesse corrigée avec un minimum de distorsion provoquée par la conversion du taux d'échantillonnage. Il convient de noter que la lecture à vitesse réduite n'est qu'un moyen, parmi d'autres, de résolution des problèmes de suivi de piste. Il peut-être utile d'essayer d'autres procédures à commencer par le réglage de la force latérale "antiskating" qui évite le saut de la pointe, et améliorer les conditions de suivi de celle-ci dans le sillon.

5.2.5.5 Si les conditions de vitesse réduite peuvent augmenter le niveau de bruit de surface par rapport à celui généré à la vitesse d'origine, elles sont aussi propices à une plus grande efficacité du système de filtrage, numérique ou autre. Lire à vitesse réduite implique que les fréquences sont divisées par deux alors que le temps de montée de l'impulsion indésirable provoquée par les défauts de l'état de surface reste le même et peut donc ainsi être plus facilement discriminé. Toutefois, des dispositifs de filtrage prédictif très élaborés peuvent être moins efficaces pour des vitesses non originales. Les copies à faible vitesse doivent être réalisées sans aucune égalisation, donnée introduite ci-dessous (voir 5.2.6).

5.2.6 Egalisation de lecture

5.2.6.1 L'égalisation est devenue possible avec l'introduction de l'enregistrement électrique ; elle est aussi devenue une nécessité. A l'enregistrement, l'égalisation consiste à accentuer ou à réduire la fréquence du signal, l'opération inverse de réduction ou d'accentuation est ensuite effectuée à la lecture. Contrairement au processus d'enregistrement acoustique, de telles procédures sont devenues possibles avec l'enregistrement électrique grâce aux circuits que comportent les systèmes d'enregistrement et de lecture. L'égalisation est devenue une nécessité car la manière dont le son est représenté sur le disque ne permet pas d'obtenir une échelle dynamique ou une réponse fréquentielle telle que le permet la technologie électrique, il doit être enregistré autrement.

5.2.6.2 Le son peut-être enregistré sur un disque de deux manières : "à vitesse constante" ou "à amplitude constante". Le premier cas s'applique lorsque la vitesse latérale de la  pointe reste constante quelle que soit la fréquence. Un disque acoustique enregistré dans des conditions idéales comporterait une vitesse constante sur toute la surface disponible. En conséquence, l'amplitude du signal serait inversement proportionnelle à la fréquence, ce qui signifie que les hautes fréquences seraient enregistrées avec de faibles amplitudes et les basses fréquences avec de grandes amplitudes. Les différences d'amplitude peuvent être très importantes. Ainsi, le rapport d'amplitude correspondant à des fréquences distantes de 8 octaves atteint 256:1. A basse fréquence, la vitesse constante, qui implique une excursion du sillon excessive, ne peut convenir car elle réduit l'espace d'enregistrement disponible d'une part et  peut provoquer des sauts inter-spires d'autre part.

5.2.6.3 On parle d'amplitude constante, d'autre part, lorsque l’amplitude reste la même quelle que soit la fréquence. Bien qu'elle soit la plus adaptée pour l'enregistrement des basses fréquences, l'amplitude constante ne peut convenir pour les fréquences élevées car la vitesse latérale du stylet à la gravure ou la lecture devient si importante qu'elle introduit des distorsions. Pour surmonter le dilemme provoqué par ces deux approches, les disques enregistrés électriquement sont gravés à amplitude plus ou moins constante aux fréquences basses et à vitesse constante aux fréquences élevées. La transition entre les deux régimes est définie par la fréquence dite de "turnover" (voir tableau 5.2).

5.2.6.4 Grâce à l'évolution des technologies d'enregistrement, des fréquences de plus en plus aiguës peuvent être gravées, mais leur amplitude, de plus en plus réduite, atteint le niveau des irrégularités de surface. De telles fréquences très élevées dont l'amplitude est comparable au bruit de surface, on dit qu'elles ont un rapport signal sur bruit médiocre. Pour surmonter cette difficulté, les fabricants de disques ont commencé à amplifier le signal des fréquences les plus élevées de telle manière qu'elles soient, parfois, enregistrées à amplitude constante. Les fréquences élevées sont enregistrées à vitesse constante jusqu'à un certain seuil au-delà duquel l'enregistrement est effectué à amplitude constante. La transition est appelée Roll-off Turnover HF (voir tableau 5.2). Cette égalisation des fréquences les plus élevées améliore le rapport signal sur bruit, elle est habituellement désignée par le terme de préaccentuation dans la phase d'enregistrement et par le terme de désaccentuation dans la phase de lecture.

5.2.6.5 Les phonolecteurs dynamiques ou magnétiques couramment utilisés sont des transducteurs de vitesse, le signal de sortie peut-être directement branché sur un préamplificateur standard si souhaité. Les systèmes de lecture piézo-électriques et optiques sont des transducteurs d'amplitude. Dans ce cas, une égalisation générale de pente de 6 dB par octave doit être appliquée, la différence entre les modes d'enregistrement à vitesse constante et à amplitude constante suivant cette loi.

5.2.6.6 Le processus d'enregistrement des disques acoustiques n'intègre pas, de manière délibérée, de préaccentuation (et l'on sait pourtant que les ingénieurs maîtrisaient les réglages des différentes phases d'enregistrement). Dans de telles conditions  d'enregistrement, le spectre du disque acoustique fait apparaître des pics de résonance de l'amplitude et des affaiblissements concomitants. Il n'est pas possible d'appliquer une égalisation de compensation standard du fait des résonances dues au pavillon, au diaphragme, et d'autres facteurs mécaniques, ces éléments pouvant varier d'un enregistrement à l'autre, y compris au cours d'une session. Dans ce cas, les enregistrements devront être lus à "plat", c'est-à-dire sans égalisation. Celle-ci devra être appliquée après opérations de transfert.

5.2.6.7 Pour transférer un disque enregistré électriquement, il est nécessaire de décider soit d'appliquer une courbe d'égalisation, soit de réaliser une copie plate. Lorsque la courbe de préaccentuation d'origine est connue avec précision, une égalisation correspondante peut-être appliquée avant transfert à l'aide d'un préamplificateur, ou bien après copie plate avec des moyens numériques. En cas de doute à propos de la courbe d'égalisation qu'il conviendrait d'adopter précisément, on réalisera une copie plate. Les versions numériques peuvent ensuite utiliser les courbes qui sembleraient les plus appropriées pour autant que le processus soit bien documenté, la version plate est conservée en tant que fichier master d'archive. Que l'égalisation soit appliquée ou non pendant le transfert initial, le bruit et la distorsion du signal analogique (depuis la pointe de lecture jusqu'au convertisseur analogique - numérique) doivent impérativement être maintenus au niveau le plus faible.

5.2.6.8 Il est intéressant de noter que la copie plate nécessitera une marge de la plage dynamique supérieure de 20 dB environ à celle correspondant à un transfert effectué avec égalisation. Toutefois, l'échelle dynamique d'un convertisseur numérique-analogique de 24 bits, supérieure même à celle de l'enregistrement original peut, par sa qualité, satisfaire à cette exigence de marge dynamique de 20 dB.  

5.2.6.9 Outre les limitations d'échelle dynamique mentionnées ci-dessus, le transfert d'enregistrements électriques sans désaccentuation présente un inconvénient : la sélection d'une pointe de lecture, essentiellement fondée sur une appréciation auditive sera plus difficile, pour ne pas dire impossible à conduire pendant l'écoute de séquences sonores. Une approche pratiquée par certains services d'archives consiste à appliquer une courbe standard, ou une famille de courbes correspondant à chaque type d'enregistrement pour sélectionner une pointe et effectuer d'autres réglages, puis de réaliser simultanément une copie plate et une copie avec égalisation numérique. Comme la courbe d'égalisation n'est pas toujours connue précisément, la copie plate 4 présente l'avantage d'offrir aux futurs utilisateurs la possibilité d'appliquer des égalisations à volonté, cette approche est préférable.

5.2.6.10  Des débats subsistent pour savoir si les outils de réduction du bruit qui éliminent clics audibles, sifflements etc. sont plus efficaces lorsqu'ils sont utilisés avant ou après application d'une courbe d'égalisation. La réponse variera probablement en fonction du choix spécifique des outils, de la nature des travaux à accomplir, et des événements susceptibles de changer, comme l'évolution continuelle des outils. A cet égard, le point le plus important concerne l'équipement de réduction du bruit, qui, bien que entièrement automatisé et sans possibilité de paramétrage de la part des utilisateurs, utilisera en fin de compte des processus subjectifs et irréversibles, et ainsi ne devra pas être utilisé lors de la création de fichiers de masters d'archives.  

5.2.6.11  Le relevé complet de toutes les décisions prises, du choix des équipements, de la cellule et pointe, du bras et de la courbe d'égalisation utilisée (ou bien absence d'égalisation) doit être enregistré et conservé dans les métadonnées.

5.2.6.12 Présentation des principales courbes d'égalisation en mode lecture.

Courbe d'égalisation disques 78t électriques sillon large Turnover BF 5 Roll-off Turnover HF (-6 dB/octave sauf indication) Roll-off @ 10 kHz
Acoustics 0   0 dB
Brunswick 500 Hz (NAB)   0 dB
Capitol (1942) 400 Hz (AES) 2500 Hz -12 dB
Columbia (1925) 200 Hz (250) †5500 Hz (5200) -7 dB (-8,5)
Columbia (1938) 300 Hz (250) 1590 Hz -16 dB
Columbia (Eng.) 250 Hz   0 dB
Decca (1934) 400 Hz (AES) 2500 Hz -12 dB
Decca FFRR (1949) 250 Hz 3000 Hz* -5 dB
early 78t (mi années 30) 500 Hz (NAB)   0 dB
EMI (1931) 250 Hz   0 dB
HMV (1931) 250 Hz   0 dB
London FFRR (1949) 250 Hz 3000 Hz* -5 dB
Mercury 400 Hz (AES) 2500 Hz -12 dB
MGM 500 Hz (RIAA) 2500 Hz -12 dB
Parlophone 500 Hz (NAB)   0 dB
Victor (1925) 200–500 Hz †5500 Hz (5200) -7 dB (-8,5)
Victor (1938–47) 500 Hz (NAB) †5500 Hz (5200) -7 dB (-8,5)
Victor (1947–52) 500 Hz (NAB) 2120 Hz -12 dB

Tableau 1 Section 5.2 Courbes d'égalisation des disques à sillon large (78t) 6

* Pente de 3 dB/octave. Une pente de 6 dB/octave ne devrait pas être utilisée à ces fréquences, si elle peut fournir une lecture satisfaisante à 10 kHz, l'atténuation roll-off qui débuterait à une fréquence incorrecte (6800 Hz) resterait incorrecte pour toutes les autres fréquences.
† Simple recommandation d'une valeur roll-off permettant d'obtenir un son plus naturel. Le niveau HF amplifié est probablement dû aux pics de résonance du microphone et non aux caractéristiques d'enregistrement.


4. "Plat" désigne généralement le signal non égalisé en sortie d'une cellule à vitesse constante.

5. Pour les définitions de "Turnover" et "Roll-off", voir Tableau 2, Paragraphe 5.3, note en bas de page.

6. Réf : Heinz O. Graumann : Schallplatten-Schneidkennlinien und ihre Entzerruhg, (Caractéristiques d'enregistrement et égalisation des disques Gramophone) Funkschau 1958/Heft 15/705-707. Le tableau ne comporte pas toutes les courbes pour chaque utilisation. D'autres courbes de référence varient légèrement de certaines décrites ici. Les recherches sur ces questions se poursuivent et s'il le souhaite, le lecteur peut les comparer avec d'autres résultats, tels ceux présentés par Powell & Stehle ou Copeland, chapitre 6, etc.

5.2.7 Corrections des erreurs d'alignement du matériel d'enregistrement (de gravure)

5.2.7.1 Dans l'idéal, tout désalignement de l'outil de gravure devrait se retrouver dans celui de la pointe de lecture afin que celle-ci observe au plus près le mouvement du burin pour extraire aussi précisément que possible l'information du sillon. Plusieurs facteurs interviennent dans le désalignement du burin graveur, la plupart d'entre eux restant difficiles à identifier, quantifier et corriger. Toutefois, une erreur d'alignement, la plus courante, est un peu plus facile à identifier et à traiter. Elle survient lorsqu'un burin plat a été monté hors de son axe principal, ce qui provoque un décalage des deux canaux quand on lit le disque avec une pointe elliptique centrée. Si la pointe elliptique ne peut être orientée pour compenser l'angle de coupe (par une mise en place adaptée de la tête de lecture), l'utilisation d'une pointe conique peut contribuer à améliorer les conditions de lecture, avec cependant un possible compromis dans la réponse en haute fréquence. Il est possible également de remédier ultérieurement au décalage grâce à des procédés numériques, le transfert d'archivage étant effectué.

5.2.8 Disques de calibration

5.2.8.1 La calibration d'un dispositif audio consiste à appliquer un signal défini et à mesurer les caractéristiques spectrales du signal correspondant en sortie du système. Un préamplificateur / égaliseur peut-être calibré avec un signal d'entrée constant, de fréquence variable avec adaptation de l'impédance de charge. La mesure est effectuée en traçant (ou en enregistrant) le signal de sortie en fonction de la fréquence. Des dispositifs automatiques sont disponibles. Concrètement, le signal d'entrée provient de la cellule, transducteur qui convertit une énergie mécanique en un signal électrique, aussi avons-nous besoin d'un signal de calibration mécanique. A l'époque de commercialisation des enregistrements mécaniques, les disques tests étaient réalisés pour cela. L'Audio Engineering Society (AES), via son comité de normalisation (Standardisation Committee), a lancé un projet de développement et de publication de plusieurs séries de disques tests, à la fois de disques à sillon large et de microsillons. Le jeu de disques de calibration 78 t/mn "Calibration Disc Set for 78 rpm Coarse Groove Reproducers, AES Cat. N° AES-S001-064" est disponible sur le site de l'AES. http://www.aes.org/publications/standards/calibration.cfm  

5.2.8.2 Lorsque la calibration au moyen de disques tests est réalisée avec une résolution suffisante, la courbe obtenue peut être considérée comme la fonction de transfert du phonocapteur ou de la combinaison phonocapteur-préamplificateur-égaliseur. L'observation de la courbe permet à l'opérateur de détecter de graves déficiences, elle fournit en outre les bases d'un filtre numérique qui peut être appliqué au signal issu du disque mécanique afin qu'il soit indépendant du phonolecteur utilisé (du préampli et de l'égaliseur). Il suffit de s'assurer qu'aucune modification n'a été apportée entre les conditions d'utilisation du disque test et celles des disques mécaniques à  transférer (et dans l'idéal s'assurer que les dispositifs d'enregistrement qui reçoivent les deux types de signaux se comportent bien de la même façon). (Pour plus de détail, voir Brock-Nannestad 2000). 

5.2.9 Dictaphones de bureau

5.2.9.1 Dès leur création, les technologies d'enregistrement du son ont été commercialisées pour des applications de soutien aux tâches de bureau. Trois grandes catégories de dictaphones mécaniques peuvent être définies, à savoir les cylindres, les disques et les rubans (voir 5.4.15 pour les machines à dicter magnétiques).

5.2.9.2 Les cylindres et systèmes d'enregistrement de bureau des débuts sont généralement les mêmes que ceux utilisés pour d'autres applications : les enregistrements sont réalisés sur des cylindres de longueur standard de 105 mm (4 1/8") (voir 5.2.4.3). Cependant, des cylindres conçus spécialement pour des applications de bureau ont été construits pendant de nombreuses année par Columbia (devenu Dictaphone) et Edison, qui ont produit des cylindres d'une longueur d'environ 155 mm (61/8 inch) portant 160 et 150 sillons/pouce respectivement (Klinger 2002). Quelques machines à dicter sur cylindre enregistrés électriquement ont été produites par la suite, mais on sait peu de chose aujourd'hui sur la préaccentuation utilisée.

5.2.9.3 La plupart des formats de disques gravés ont été lancés après la deuxième guerre mondiale, y compris le Voicewriter d'Edison et l'Audograph de Gray. Si de nombreux formats nécessitent des équipements de lecture particuliers, les disques souples de dix sept pouces Voicewriter Edison peuvent être lus sur une platine standard équipée d'un d'adaptateur d'axe US et d'une pointe microsillon. Les vitesses d'enregistrement de ces disques sont généralement inférieures à 33 1/3 t/mn.

5.2.9.4 Au début des années 1940, des formats d'enregistrement de type ruban apparaissent. Il s'agit essentiellement de manchons de plastique souple ajustés sur un dispositif de double mandrin pour l'enregistrement et la lecture. Le plus célèbre de ces dispositifs est peut-être le Dictaphone Dictabelt. La souplesse du manchon permettait de les aplatir pour le stockage et la distribution, un peu comme pour d'autres fournitures de bureau, mais une telle opération provoquait souvent des plis permanents, et donc des difficultés pour l'ingénieur chargé d'effectuer les lectures. On sait qu'une augmentation prudente et progressive de la température du manchon et du dispositif de lecture peut être efficace à cet égard, cependant le succès de cette procédure dépendra, entre autres, de la nature du matériau plastique utilisé. Des lecteurs spéciaux sont indispensables pour lire de tels formats.

5.2.10 Le facteur temps

5.2.10.1 Un transfert complexe peut prendre facilement 20 heures pour produire 3 minutes d'enregistrement sonore (taux de 400:1). La durée moyenne de transfert, qui est de 45 minutes pour 3 minutes de son (taux de 15:1), représente le temps passé pour la recherche des réglages corrects des équipements et le choix de la pointe, sur la base de l'analyse de l'enregistrement qui transmet son époque et son historique de stockage. Certains services d'archives ayant une expérience en la matière avancent que, pour le transfert de cylindres se trouvant dans un état moyen et non cassés, deux personnels techniques (un expert et un assistant) peuvent transférer 100 cylindres par semaine (taux de 16 : 1 environ). Bien entendu, l'expérience acquise améliore à la fois le taux de transfert et l'aptitude et l'estimation du temps requis.   

5.2.10.2 La numérisation peut paraître coûteuse et exigeante considérant les tâches à accomplir, l'équipement nécessaire, l'expertise et les heures-hommes considérables nécessaires pour transférer le son et créer les métadonnées essentielles. Toutefois, ces investissements initiaux en termes d'efforts et de ressources seront compensés par des bénéfices à long terme, des économies dans la bonne gestion de préservation de données de masse qui réduiront fortement les coûts récurrents d'accès, de duplication et de migration. On notera ici le facteur crucial de l'entretien du fonds d'archives qui sera discuté en détail notamment dans le chapitre 6. L'extraction du signal dans sa qualité optimale depuis le support original, tel que défini dans ce chapitre, constitue une composante essentielle de cette stratégie.