9: Partenariats, planification de projet et ressources

9.1.1 Introduction

9.1.1.1 La production d'objets audionumériques et la conservation à long terme de ceux-ci comporte plusieurs éléments interdépendants, nombre d'entre eux étant particulièrement complexes. Ce guide définit les tâches telles que : Extraction des contenus audio pour créer des objets audionumériques d'archives ; ingestion des contenus dans un système d'archivage avec création des métadonnées nécessaires ; administration, gestion des données et systèmes ; stockage d'archivage : planification de la conservation et accès.

9.1.1.2 Certaines institutions sont en mesure d'entreprendre toutes les actions utiles, ainsi que d'abriter une collection dont la dimension justifie les dépenses. Une autre possibilité consiste à négocier des relations de partenariat pour effectuer certaines tâches pour le compte de propriétaires des collections. Ces partenariats peuvent être constitués avec d'autres institutions de plus grande taille se trouvant dans des situations analogues, ou pouvant présenter une relation commerciale avec un fournisseur.

9.1.1.3 Ce paragraphe examine les ressources nécessaires pour créer et préserver les objets audio numériques répondant aux exigences techniques mentionnées dans ce guide. Il prend en compte les questions relatives à la taille de la collection et à l'ampleur de la tâche, reconnaissant que la réponse favorable aux exigences professionnelles décrites ne peut être apportée que si la taille de la collection détenue par chacune des institutions atteint la masse critique suffisante pour rendre les opérations autonomes de conservation viables. De nombreuses institutions, collections, ou services d'archives disposent en interne des expertises spécifiques et des ressources humaines pouvant être déployés pour faciliter les processus. Il leur est recommandé d'optimiser les avantages que leur procure leurs activités tout en examinant soigneusement les sites extérieurs où l'on pourrait trouver de meilleurs services.

9.1.2 Responsabilité des archives, collections

9.1.2.1 La première décision à prendre est de décider si l'institution doit s'engager ou non dans la conservation des documents audionumériques. Souvent, les collections audio et audiovisuelles entrent dans les institutions avec divers objectifs qui peuvent ne pas viser la conservation des documents audio à un niveau professionnel. Les problèmes toujours plus importants de conservation physique d'une collection audio, d'obsolescence des équipements de lecture, de pérennisation des documents numériques peuvent suggérer de repenser la collection et la politique de conservation. Quand des alternatives appropriées se présentent, les collections audio pourraient être transférées dans des institutions plus spécialisées. Ce qui n'implique pas nécessairement une renonciation totale à la propriété de la collection ; au service d'archives destinataire des documents, il peut-être demandé de fournir, en retour, des copies de consultation qui pourraient rester disponibles - sans coût supplémentaire significatif - pour d'autres utilisations internes. Diverses possibilités de détention, partielle ou entière, des droits de propriétés aussi bien que des droits d'usage, peuvent être appliqués.

9.1.3 Responsabilité partagée des archives

9.1.3.1 Si une institution se doit d'assurer la responsabilité de ses collections, différents scenarios peuvent être envisagés sans pour autant constituer un renoncement à celle-ci.

9.1.3.2 Il est possible de produire les objets numériques en interne et d'en assurer la conservation en externe. De nombreuses manières de conduire ce scénario peuvent être proposées. Une solution, qui semble plus appropriée pour les institutions académiques et les universités, propose d'engager plusieurs unités dans la production et l'utilisation des documents audio (et audiovisuels). Généralement, de telles institutions disposent d'un ordinateur central, le plus souvent avec la responsabilité de gestion des différents objets numériques. Le dispositif de stockage des données devrait être en mesure de prendre en charge les modalités de conservation à long terme des contenus audio créés. Cependant, il est important d'apporter à l'unité centrale tous les éléments spécifiques à la conservation à long terme des objets audionumériques, et d'élaborer des règles bien définies pour la production de fichiers d'archivage. L'unité centrale devrait prescrire les formats d'enregistrement, la résolution, les procédures d'annotations et autres modalités d'archivage qui devront être suivies. De plus, les tâches de conservation à long terme de ce type devraient pouvoir être remplies également par des entrepreneurs privés. Ce concept devrait servir pour les nouvelles productions, particulièrement les enregistrements sur le terrain dans diverses disciplines telles que l'anthropologie, la linguistique, l'ethnomusicologie et l'histoire orale.

9.1.3.3 Dans un tel scénario, une autre voie peut être préconisée dans le cas où une collection importante dotée de conditions de stockage appropriées, de moyens de transfert et de l'expertise technique, ne bénéficierait pas d'une infrastructure de stockage numérique suffisamment développée pour construire un dépôt numérique digne de confiance. Dans ces conditions, on pourra entreprendre localement l'extraction du signal et répartir les objets audionumériques obtenus vers les services d'archives sélectionnés.

9.1.3.4 Toutefois, lorsque des institutions ont déjà accumulé voire dispersé des originaux analogiques et numériques, les opérations d'extraction des signaux depuis ces originaux à des fins de constitution de fichiers numériques de conservation pourraient être concentrées pour être menées par une unité équipée de manière professionnelle, reliée à l'unité informatique centrale. Si l'institution, dans sa totalité, n'atteint pas la masse critique de supports, il vaudra mieux externaliser les opérations d'extraction du signal. De même si l'institution ne dispose pas de l'expertise requise ou des équipements pour mener à bien la numérisation professionnelle.

9.1.3.5 Pour chacun de ces scenarios, pour lesquels un service d'archives tiers prend la responsabilité des entrées, de la gestion, et de la conservation des objets audionumériques, il est impératif d'avoir une parfaite compréhension du rôle et de la responsabilité des différents partenaires impliqués dans ces tâches. La norme ISO 20652 : 2006 "Space data and information transfer systems -- Producer-archive interface -- Methodology abstract standard" (Systèmes de transfert des informations et données spatiales -- Interface entre producteur et archives -- Norme pour la méthodologie concernant les abstraits) [Norme en anglais (NTD)] identifie, définit et fournit les structures des relations et interactions entre les producteurs d'informations et les archives. Elle définit la méthodologie de structure des actions requises depuis l'instant du premier contact entre le producteur et l'archive jusqu'à réception et validation des objets d'information par les archives. Ces actions couvrent la première étape du processus des entrées telles que définies dans le modèle de référence d'un système ouvert d'archivage d'information (Open Archival Information System (OAIS)) (voir ISO 14721 [norme en anglais, révisée 2012, (NTD)]. http://www.iso.org/iso/fr/home/store/catalogue_ics/catalogue_detail_ics.....

9.1.4 Masse critique

9.1.4.1 Dans le domaine de la conservation du son, la taille de la collection justifiant les dépenses pour mener les travaux en interne représente la masse critique. Il est difficile de donner une estimation chiffrée pour définir une masse critique ; plus grand est le nombre d'institutions professionnelles disponibles dans un pays ou une région, plus élevée sera la masse critique. La masse critique sera d'autant plus grande que le nombre d'institutions professionnelles dans un pays ou une région sera élevé. Toutefois, si les institutions engagées dans l'archivage de niveau professionnel sont peu nombreuses, ou si aucune n'est disponible, alors la masse critique sera plus faible. La masse critique devrait toujours être évaluée en fonction des formats de supports ; disques à gravure large (78t), microsillons, bande en bobine libre, etc. Dans les pays ou régions développés, la masse critique devrait être atteinte pour plusieurs milliers d'items au moins, toutefois, dans de nombreux cas, des institutions détenant des dizaines de milliers d'exemplaires d'un support de même type, prennent la décision rationnelle d'externaliser les opérations d'extraction du signal. En des circonstances de moindre développement, le transfert en autonomie de quelques milliers d'items / heures seulement peut être correctement effectué.

9.1.4.2 La masse critique dépend également de l'homogénéité des documents dans leurs formats respectifs. Des collections homogènes peuvent être transférées avec un certain niveau d'automatisation. Généralement, les coûts associés avec des systèmes entièrement automatisés impliquent une externalisation vers des institutions ou des prestataires proposant des transferts en parallèle sous contrôle informatique. Les collections comportant différents types de supports ou standards d'enregistrement - comme rencontré fréquemment dans les collections de recherche - exigent des conditions de transferts manuels fiables pouvant être disponibles en interne à plus bas coût, et à condition de disposer d'une expertise spécialisée.

9.1.4.3 Même si elles sont de grande taille, les archives audio professionnelles peuvent prendre en considération l'envoi d'une partie de leur collection vers des institutions ou des prestataires spécialisés pour effectuer les transferts. Ceci tout particulièrement pour certains supports analogiques historiques et pour des supports numériques.

9.1.5 Sous-traitance

9.1.5.1 Chaque fois que l'on fait appel à la sous-traitance pour extraire le signal, tout particulièrement auprès d'entreprises privées, il est important de définir très précisément les tâches à accomplir. La meilleure manière d'y parvenir est de spécifier, dans le cadre du contrat, les éléments de références fournis par IASA dans ses Cahiers de recommandations (Directives).

9.1.5.2 Pour tous les processus audio effectués en sous-traitance, il est indispensable de mettre en place un système de contrôle qualité afin de s'assurer de la conformité des prestations contractuelles. De telles pratiques devront s'appuyer sur des métadonnées de conservation précisément fournies, sur des tests pratiqués à partir d'échantillons prélevés de manière aléatoire, sur des tests des équipements de transfert opérés lors de visites inopinées chez les sous-traitants. Une attention toute particulière sera portée aux tests des systèmes de contrôle qualité - automatiques ou manuels - mis en place par les prestataires ; une attention qui sera portée également à leur capacité à gérer des contrats à long terme selon une méthodologie de gestion de projet, à leur expérience en matière de contrats similaires, de supports spécifiques, de maintenance des équipements, et enfin à propos du rapport qualité-prix. Avant de lancer les opérations de numérisation en production, une phase de tests à petite échelle devra être pratiquée pour s'assurer que tous les aspects du processus sont bien conformes aux critères.

9.1.5.3 Il relève de la responsabilité du service d'archives audio de gérer et de contrôler l'accès à toutes ses collections dans le strict respect des contraintes légales, morales et éthiques associées aux contenus. La sous-traitance des opérations n'autorise en aucune manière le service d'archives à abroger ses responsabilités en la matière. Lorsque des matériaux sonores sont transmis à une tierce partie pour entreprendre une action sur le son, il est nécessaire de définir et de contractualiser les restrictions auxquelles le prestataire de services doit souscrire. Pour des documents sonores commerciaux sous copyright, les limitations légales sont probablement décrites dans les textes auxquels on pourra se référer. Quand la vie privé ou autres questions d'éthique doivent être prises en compte, des règles doivent être définies et portées à la connaissance des prestataires qui s'y conformeront. Il est également important de préciser quand et comment les copies seront éliminées du système de stockage de l'entreprise lorsque sa responsabilité viendra à échéance et lorsque les matériels et des contenus reviendront vers les propriétaires ou les services d'archives.

9.1.6 Evaluation quantitative de l'importance d'un projet

9.1.6.1 Que les opérations de conservation soient menées en interne de manière autonome, partiellement autonome ou qu'elles soient entièrement sous-traitées, le préalable indispensable à une planification rigoureuse passe par une estimation quantitative du projet. Des erreurs importantes et coûteuses ont été fréquemment produites par la sous-estimation du travail nécessaire à l'extraction du signal optimum depuis les supports originaux. Par conséquent, la première étape consiste à décompter le nombre de supports et à estimer la durée de lecture de ceux-ci. Avec les supports mécaniques, les mini cassettes et les disques optiques, une relation assez simple peut être établie entre nombre de supports et durée nécessaire pour les lire. Une estimation qui peut être rendue plus complexe dans le cas des bandes magnétiques en bobine libre car la durée dépend de la longueur de la bande, de la vitesse de l'enregistrement et du nombre de pistes. Toutefois, la bonne connaissance d'une collection, quelques hypothèses bien fondées permettent dans bien des cas d'effectuer des estimations suffisamment précises. En ce qui concerne les collections peu ou non documentées, cas souvent rencontrés chez des personnalités importantes, l'estimation peut-être extrêmement longue.

9.1.6.2 Une fois estimée la durée de transfert des supports, il convient de tenir compte d'un deuxième facteur important : leur état physique. Les ratios mentionnés dans les différentes parties du chapitre 5 "Extraction du signal du support original", s'entendent pour des supports en bon état. Toute opération de nettoyage et de restauration peut induire une durée de transfert supplémentaire substantielle qui doit être comprise en conséquence dans les chiffrages.

9.1.7 Hiérarchisation du transfert numérique

9.1.7.1 Le paragraphe 16 du document IASA-TC 03 "Sauvegarde du patrimoine sonore : Ethique, Principes et Stratégie de Conservation" précise que, exception faite des disques à gravure directe qui peuvent devenir inutilisables sans avertissement et à n'importe quel moment, le transfert d'une collection donnée relève d'une décision aux multiples facettes répondant aux exigences d'accès aux documents, à leur état physique, et, avec une importance qui ne cesse de croître, à la disponibilité des équipements, des pièces de rechange et d'un support professionnel. Le projet "Sound Directions" (Directions sonores) a développé "FACET", un outil d'évaluation des paramètres respectifs et d'assistance dans la prise de décision sur des bases objectives et transparentes. On notera toutefois que l'obsolescence des formats, qui engendre des problèmes comme l'abandon de service professionnel pour les machines R-DAT par exemple, est rapide, ce qui doit nécessiter une veille permanente et une réévaluation régulière de la situation.

9.1.8 Conservation à long terme des objets audionumériques

9.1.8.1 Habituellement, lorsqu'on débute les opérations de conservation du numérique, les coûts de stockage à long terme des objets audionumériques sont, et ceci de manière permanente et persistante, sous-estimés. Au moment de la rédaction de ces lignes, on estime que l'ordre de grandeur des coûts de stockage professionnel est au moins de 5 $US/GB/an pour des collections de taille moyenne à très grande taille (supérieures à 5 TB). Si les coûts de hardware ne cessent de diminuer, les dépenses correspondant à la gestion de stockage, aux continuelles migrations vers une nouvelle génération, à l'hébergement dans des locaux adaptés (salle blanche, etc.) sont toujours sous-estimées. L'objectif politique de l'UNESCO de mettre au défit l'industrie des technologies de l'information (TI) de parvenir à un coût de 1 $US/GB/an à court terme semble loin d'être atteint. Certains chiffres détaillés dans l'étude PrestoSpace font apparaître une tendance à la stabilisation des coûts de stockage à long terme à 9 $US/GB/an. Puisque les objets audionumériques nécessitent en moyenne 2GB/heure, les coûts de conservation, même les moins élevés, seront encore trop élevés pour de nombreuses institutions culturelles.

9.1.8.2 Les plus faibles coûts de stockage numérique peuvent être atteints seulement pour les plus faibles volumes et si on excepte les coûts de main-d'œuvre associés à petite échelle dans les prestations manuelles. Dans un avenir proche, l'utilisation systématique de logiciels open source peut conférer une certaine autonomie, sinon un total automatisme aux processus, y compris pour des capacités moyennes (10-20 TB) de stockage. L'implication d'un personnel spécialisé apportant la garantie de disponibilité permanente des fichiers archivés grâce à des interventions manuelles ou semi-automatiques ne doit pas être sous-estimée.

9.1.9 Calcul des coûts généraux

9.1.9.1 Au moment de prendre des décisions, le point crucial correspond peut-être au calcul des coûts. Malheureusement, un chiffrage concret, applicable de manière générale, ne peut être avancé dans ce contexte. Les coûts de prestations en interne sont difficiles à évaluer, de nombreuses institutions détentrices de collections audiovisuelles disposent d'infrastructures (salles, air conditionné, intranet) dont les coûts sont intégrés au budget général, ce qui rend difficile le calcul des coûts généraux de transfert et/ou ceux de la conservation numérique permanente. Le coût de main-d'œuvre diffère de manière significative, même entre pays voisins industrialisés, ce qui affaiblit toute conclusion économique d'ordre général. Finalement, l'offre commerciale des services professionnels varie de manière considérable, en fonction du nombre d'items par support, de l'état de conservation de ceux-ci, et désormais de la possibilité d'automatiser les processus. Alors que les coûts de personnels, d'équipements et autres ressources augmentent généralement avec le temps, le coût de certains processus automatisés peut diminuer.

9.1.9.2 Du fait de nombreux facteurs impliqués dans un projet donné de conservation, ces conseils ne s'accompagnent pas d'estimation de budget de transfert. Les indications fournies suggèrent qu'il revient aux détendeurs de collections de s'informer très précisément de la situation spécifique de leur pays ou de leur région, et d'observer l'état du marché sur des bases comparables.

9.1.9.3 Pour la recherche de prix de prestations de conservation de documents audio, les appels d'offres doivent être très bien préparés, détaillés, et toutes les réponses soigneusement examinées. Les offres proposant les mêmes services que d'autres prestataires mais à moindre coût, devront être examinés avec le plus grand scepticisme. Finalement, la sous-traitance peut être gérée avec succès si un dispositif d'assurance qualité rigoureux est mis en place comme décrit et si toute tâche défectueuse est rigoureusement rejetée.

9.1.10 Résumé

9.1.10.1 En résumé, lors de la planification des opérations de conservation, il est fortement recommandé aux détenteurs de collections audiovisuelles de profiter de la prise en compte des besoins nécessaires à la conservation de leur fonds pour repenser toute leur stratégie : tous les scénarios, depuis le retrait de toute responsabilité à l'égard de la conservation, en passant par les prestations d'extraction du signal et de conservation numérique à long terme, en interne ou en externe, jusqu'à assumer en autonomie toute la responsabilité, devront être examinés. Chaque collection est différente et les institutions, intégrées dans des environnements très variés. Ces multiples scénarios, qui changent également avec le temps en fonction du développement technique, rendent difficiles les prises de décision sur les seules considérations économiques. Généralement, tous les détenteurs de collections audiovisuelles, de petites collections notamment, sont fortement encouragés à établir des relations de coopération afin de répondre aux exigences de conservation. L'importance avec laquelle la responsabilité de l'extraction du signal et de la conservation à long terme se manifeste en interne doit être en rapport avec la mission générale de l'institution ou de la collection. Les institutions chargées de préserver la mémoire peuvent prendre différentes décisions à propos de collections de recherche, pour lesquelles l'intérêt est grand en termes de disponibilité des documents audio mais dont le cœur de métier n'intègre pas nécessairement les processus garantissant leur survie.